La fièvre du Jeudi soir
Vibrant docu sur les fans de danse folkloriques, le grand bal a transformé avant-hier la plage Macé en parquet ciré pour festivaliers au bout du rouleau, et redonné du sens à nos errances cannoises.
« J’ai fait le Portugais hier, je vais au Grec ce matin. » « J’ai dormi 12 heures en quatre jours, c’est mieux que l’an dernier. » « Super cette séance, mais pas facile de s’en remettre. » Des petites phrases qui ressemblent à celles qu’on s’échange chaque jour sur la Croisette. Sauf qu’elles sont prononcées par d’autres festivaliers endurants, au Grand Bal de l’Europe où se retrouvent depuis trois décennies les masos de la mazurka, les barjos de la bourrée et les tordus de la tarentelle. Dans cette grande fiction méta qu’est le Festival de Cannes, où chaque signe finit par être interprété comme un message personnel, la projection de ce docu sensoriel, au Cinéma de la Plage, avait la saveur d’un bilan d’expérience à deux jours du retour au réel. Parce que c’est un film sur un festival projeté dans un festival du film, mais aussi – surtout – parce que la réalisatrice Lætitia Carton y dit beaucoup de choses essentielles sur la force du rituel et le besoin de jouissance collective. Ces gens qui dansent sans s’arrêter, de l’aube à l’évanouissement, en quête de sens et de transe, c’est nous, ici, maintenant. Leurs joies, leurs doutes, leurs fatigues et leurs passions ont la même substance que les nôtres. À la fin du générique, quand les musiciens du film ont envahi la scène et que la plage s’est transformée en parquet de danse trad’, tout s’est éclairé d’un coup. Les babos en sarouel tenaient les starlettes en robe du soir par la main, les distributeurs jetaient leurs chaussures en l’air et des journalistes ennemis se réconciliaient dans un rondeau en couple.
On comprenait enfin ce qu’on était venu foutre ici, une fois de plus. Ensemble et humains malgré tout.
Michaël Patin